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Hôpitaux Journée Mondiale de l’Aide Humanitaire - Témoignage

« Il faut parfois sortir de sa zone de confort, c’est une expérience incroyable ! »

Niger, République Démocratique du Congo, Soudan, Haïti, Côte d’Ivoire ou encore Guinée… A 41 ans, Julien DEMEULDRE, infirmier aux Soins Intensifs de l’hôpital de Warquignies, compte déjà un large panel de missions humanitaires à son actif. Il nous livre son expérience poignante avec Médecins Sans Frontières à l’étranger, mais aussi en Belgique.

Quel a été votre parcours avant de vous intéresser à l’aide humanitaire ?

Je suis infirmier SIAMU, c’est-à-dire, spécialisé en Soins Intensifs et Aide Médicale Urgente. J’ai intégré l’hôpital de Warquignies après ma formation, tout en poursuivant un master en Santé Publique jusqu’en 2006. Je suis ensuite parti travailler en Martinique en tant qu’infirmier. A mon retour j’ai suivi une formation en Médecine Tropicale, qui est indispensable pour entrer chez Médecins Sans Frontières.

Qu’est-ce qui vous a poussé à intégrer Médecins Sans Frontières ?

J’ai toujours eu comme objectif d’intégrer MSF. Pendant mes études, j’ai fait du bénévolat dans une léproserie au Caire, dans la construction de sanitaires au Sénégal, ou encore dans la protection des tortues marines au Guatemala. Je suis également parti travailler en Guyane en tant qu’infirmier. J’ai toujours eu cette fibre de voyager. J’aime travailler à l’hôpital mais il me manquait quelque chose. MSF est une ONG qui m’a toujours attiré car elle intervient dans les contextes d’urgences.

Dans quel contexte êtes-vous amenés à intervenir sur place ?

MSF est une organisation humanitaire médicale. Elle a pour objectif prioritaire de soigner les gens mais a aussi pour mission de témoigner de situations sanitaires graves comme des épidémies ou des catastrophes naturelles. Nous partons en mission pour des problématiques urgentes mais également pour des projets à plus long terme. L’ONG est neutre, indépendante et impartiale.

Quelle a été votre première mission à l’étranger ?

C’était au Niger, j’avais 29 ans, dans le cadre de la lutte contre la malnutrition des enfants et des femmes allaitantes. J’y supervisais deux centres de santé. Nous étions au milieu du désert, c’était très éprouvant. Nous transférions les cas les plus graves dans des unités intensives, et nous nous occupions sur place des cas modérés. C’était terrible de voir tous ces enfants malnutris. Personne n’est préparé à ça. Les enfants mourraient de malnutrition, souvent très jeunes, avant 5 ans. Ça a été une énorme claque pour moi. Nous avons tenté de mettre en place des programmes de prévention de la malnutrition avec les différents chefs de villages locaux. Quand je suis rentré, le décalage entre notre société et ce que j’avais vécu au Niger était difficile à supporter.

Généralement, comment êtes-vous accueillis sur place par la population ?

La plupart du temps, nous sommes bien acceptés car la population a besoin des soins médicaux gratuits de Médecins Sans Frontières. Le plus compliqué est quand nous intervenons dans des zones de conflit, comme à Haïti où notre centre s’est fait attaquer. Nous avons aussi eu un de nos centres Ebola qui a été incendié en République Démocratique du Congo.

Dans quel cadre vous êtes-vous rendu en République Démocratique du Congo ?

Je suis d’abord parti en mission à Masisi, dans le Nord-Kivu. Des groupes armés étaient présents dans la région et la situation était instable. J’y étais responsable nursing dans un hôpital. Nous supervisions les équipes locales avec lesquelles nous travaillions en étroite collaboration. Il y a toujours beaucoup d’échanges avec le personnel soignant sur place, c’est très enrichissant. Nous avons mis en place un service d’urgences. Nous avions également une clinique mobile. Nous allions en moto à la rencontre de la population car les routes sont peu praticables. Quand quelqu’un avait besoin d’un support hospitalier, nous le ramenions avec nous. Nous réalisions beaucoup de soins pédiatriques, notamment dans le traitement du paludisme, de la diarrhée, ou des infections respiratoires. MSF intervient également dans le traitement des maladies chroniques comme le diabète ou l’hypertension.

Êtes-vous intervenu dans le cadre de catastrophes naturelles ?

Oui à Haïti, après le tremblement de terre de 2010. Nous étions dans une zone où l’insécurité était omniprésente. Nous entendions des coups de feu la nuit. Il y avait des décès tous les jours. Nous avions également un programme de santé reproductive, car le taux de natalité du pays est très élevé, ainsi qu’un volet de prévention des maladies sexuellement transmissibles. Ensuite, après une mission en Côte d’Ivoire pour un projet de cliniques mobiles, je suis retourné en République Démocratique du Congo dans le cadre des élections. Nous avons mis en place un plan catastrophe en cas d’affrontement entre factions rivales. Nous avons formé le personnel des hôpitaux à faire face à un afflux éventuel de blessés. Quelques années plus tard, le virus Ebola frappait l’Afrique.

Vous êtes alors parti en mission Ebola en Guinée…

Oui, mais j’ai longuement hésité, nous avions très peur de tomber malade. A ce moment-là, il n’existait pas de vaccin. Nous avions peur de contaminer nos familles. Nous avons mis en place les premiers traitements expérimentaux. Nous avions aussi une mission d’information et de promotion de la santé auprès de la population sur place. Il faut savoir que certaines coutumes locales ne facilitent pas les activités menées dans la lutte contre une épidémie. Par exemple, quand un chef de village meurt, son corps est transporté de village en village. Or, le corps d’un patient qui est décédé d’Ebola est une bombe infectieuse… Cela a été encore plus compliqué en République Démocratique du Congo où nous avons dû évacuer. Notre centre a été incendié quelques semaines plus tard. A mon retour, j’ai travaillé au siège d’MSF à Bruxelles dans les ressources humaines, et plus particulièrement dans la gestion des carrières et des missions des médecins, en fonction des besoins opérationnels sur place. Entre les missions, je revenais régulièrement travailler à l’hôpital de Warquignies.

Il y a encore eu d’autres missions à l’étranger après votre retour ?

Oui, la dernière en date était au Soudan du Sud, de 2019 à 2020. Nous épaulions des centres de santé sur place et avons mis en place une campagne de vaccination contre la rougeole. La région avait subi de fortes inondations. Beaucoup de civils étaient armés, la situation était tendue, et la violence était très présente. J’ai, à un moment, dû prendre en charge la sécurité de l’équipe. C’était très compliqué.

Est-ce que Médecins Sans Frontières est également amené à intervenir en Belgique ?

Oui, de plus en plus. Notamment dans le cadre de la lutte contre le COVID-19. J’ai coordonné un projet pour soutenir les maisons de repos, et je suis également allé dans certains hôpitaux. MSF a aussi mis en place un programme de soutien psychologique après les récentes inondations en Belgique. L’organisation assure également un programme de soins pour les sans-abri et les migrants, en collaboration avec d’autres ONG. Je pense que nous serons de plus en plus amenés à intervenir dans notre propre pays…

Que retirez-vous de ces expériences d’un point de vue personnel?

On apprend à relativiser les choses. On voit la vie différemment. On se rend compte aussi du décalage entre pays au niveau de l’accès et de la qualité des soins de santé. Certaines situations sont dramatiques. Au début de ma première mission au Niger, nous sommes passés récupérer une dame et son enfant, qui était dans un état de malnutrition avancé. Avant de monter dans le véhicule, elle m’a passé son enfant dans les bras. Je l’ai regardé, il avait un aspect cadavérique… Ça a été un choc immense… Cela a été mon premier contact avec l’aide humanitaire. Par ailleurs, il y a aussi énormément de bons souvenirs et d’histoires heureuses. Les relations entre membres du staff sur place sont également très riches. C’est une expérience incroyable. Je pense qu’il faut parfois sortir de sa zone de confort. Je réfléchi déjà ma prochaine mission qui sera probablement dans le cadre de la vaccination en Afrique.

Photos : ©Médecins Sans Frontières et Julien Demeuldre